Mieux que la retraite à 62 ans, la sieste pour tous et sans condition
Accorder à chacun le droit de s'octroyer une sieste devrait être la prochaine conquête sociale, la plus importante depuis les congés payés.
La sieste fait partie de mon quotidien. Je la pratique depuis toujours. Vacances ou travail, du pareil au même. Une fois mon déjeuner avalé, je tire les rideaux de la chambre à coucher, je m'allonge sur mon lit et pendant la demi-heure qui suit, je m'absente du monde –je ne suis là pour personne. Une fois réveillé, je retourne à mon bureau et là mes amis, quel festin! J'ai tellement la pêche que parfois je suis capable de travailler tout l'après-midi sans m'interrompre ou presque.
C'est que la sieste a cette vertu de remettre les compteurs à zéro. Comme si le cerveau abîmé par les heures blêmes de la matinée, ce prolongement de la nuit qui jette sur les choses un halo confus et désordonné, renaissait à lui-même. La sieste parachève le travail de la nuit, elle apporte à l'esprit le calme et la sérénité nécessaires pour affronter les tâches les plus ardues. Ce qui semblait encore impossible le matin devient soudainement accessible, presque facile à accomplir.
La sieste est une césure dans la marche en avant de la journée. Elle demeure ce moment suspendu où plongée dans un demi-sommeil, l'âme retrouve son unité première. Le temps s'écoule au ralenti, les minutes se font lentes et suaves, le corps se détend et tout perd de son importance, les tracas du quotidien comme les blessures plus profondes, de celles qui épuisent l'être confronté à la brutalité du monde extérieur.
On revient à soi. On ne dort pas vraiment, on se laisse bercer entre veille et sommeil, dans ce chuchotis du temps qui est comme une caresse, une trêve parmi les décombres de la journée. La conscience se tient là en arrière, pas tout à fait éclipsée mais suffisamment retirée pour ne pas s'encombrer d'inutiles pensées. On est là sans être là, rêveur éveillé qui sent le monde plus qu'il ne le vit comme si son écho lui parvenait de loin, de l'infini des cieux où l'essence même de son être se rafraîchit.
Et quand ce charme s'estompe, au moment où la conscience revient au-devant de la scène, c'est comme si le monde avait perdu de sa négativité. Il n'est plus cet ennemi qui vous affronte et vous écrase de toute sa hauteur. Non, désormais, c'est vous qui le dominez. Vous voilà devenu maître en votre royaume. Et dans cette clarté retrouvée, parmi l'éclat de votre sérénité intérieure, rien ne peut vraiment vous résister, pas même les fantômes de la mort.