Deux propositions de loi visant à torpiller l'article sur le recul de l'âge légal de départ ont été déposées à l'Assemblée nationale. Ont-elles une chance d'aboutir ? Juridiquement, oui, politiquement, c'est très improbable.
Les oppositions tirent une dernière carte de leur manche contre la réforme des retraites. Certains parlementaires planchent sur la possibilité d'abroger une partie de la loi, alors qu'Emmanuel Macron l'a promulguée dans la nuit du 14 au 15 avril, juste après sa validation partielle par le Conseil constitutionnel. Les députés du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (Liot) ont déposé, jeudi 20 avril, une proposition de loi à l'Assemblée nationale pour demander l'abolition de l'article phare de la réforme, qui porte l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Deux jours plus tôt, mardi, les députés PS ont, eux aussi, déposé une proposition de loi, avec le même objectif en ligne de mire.
"Une seule solution pour retrouver l'apaisement : l'abrogation de la réforme des retraites", a tweeté Boris Vallaud, jeudi. Le lendemain, le patron des députés socialistes s'est réjoui de voir que le groupe Liot reprenait cette "idée de loi d'abrogation"
Nous voulons redonner du pouvoir au Parlement", expose à franceinfo Christophe Rossignol, conseiller de Bertrand Pancher, député de la Meuse et président du groupe Liot à l'Assemblée. "On vise l'article sur le report de l'âge légal, car il n'a été ni débattu ni voté" au Palais-Bourbon, poursuit-il. Les débats sur la réforme s'étaient achevés sans vote à la chambre basse le 17 février, faute d'un examen complet du texte.
"Toute loi peut être abrogée n'importe quand"
Sur le plan juridique, cette proposition de loi est-elle viable ? "La procédure parlementaire permet d'adopter un texte qui revient sur les dispositions d'un texte précédent. On peut donc tout à fait déposer une proposition de loi qui abroge une loi, dès le lendemain de son adoption", affirme à franceinfo Jean-François Kerléo, professeur de droit public et vice-président de l'Observatoire de l'éthique publique. "Il n'y a pas de délai imposé au législateur pour qu'il puisse abroger ce qu'il a adopté antérieurement. Toute loi peut être abrogée n'importe quand, en théorie", ajoute Alexandre Viala, enseignant en droit public à l'université de Montpellier.
En pratique, c'est parfois plus compliqué. "Les groupes Liot et PS peuvent envisager un vote sur l'abrogation de la loi, mais ils vont se heurter à la majorité", souligne Alexandre Viala. Selon lui, le dépôt de cette proposition de loi est "inédit" et survient parce que l'exécutif ne dispose que d'une majorité relative à l'Assemblée. La démarche des oppositions "traduit" donc le fait qu'elles "caressent l'espoir de démonter ce qu'a fait la majorité". Le spécialiste estime qu'elles peuvent par exemple tabler sur "un défaut de vigilance de la part des députés de la majorité" et miser sur un hémicycle à moitié vide au moment du vote.
Le texte devrait être examiné le 8 juin, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Liot, une journée pendant laquelle un groupe d'opposition ou minoritaire peut fixer l'ordre du jour à l'Assemblée. Et les élus Liot ont bien la volonté d'y intégrer leur texte, confirme Christophe Rossignol à franceinfo.
La majorité anticipe une niche "pénible"
L'examen effectif de la proposition dépendra ensuite de l'ordre du jour de la séance, pas encore défini par le groupe à ce stade. Plus elle sera inscrite en haut de la liste, plus elle aura de chance d'être débattue par les députés avant minuit, heure à laquelle s'achèvent les débats prévus dans le cadre de cette journée d'initiative parlementaire.
Dans les rangs du parti Renaissance, on commence à regarder cette niche d'un œil préoccupé. "Sur la mobilisation, nous allons devoir être présents ! Cela va être compliqué. Cette niche sera pénible, nous le savons", confie un poids lourd de la majorité, dont certains députés plaident pour ne pas aller au vote. Pour y parvenir, ils envisagent de déposer un grand nombre d'amendements en jouant la montre pour empêcher les parlementaires de se prononcer sur le texte avant minuit. "Le niveau de bordel que ça va être… Il ne faut pas que ça aille au vote", lâche un député influent de la majorité.
Néanmoins, même si elle était examinée et votée à l'Assemblée, la proposition de loi devrait encore franchir l'écueil du Sénat, où la droite, qui réclamait de longue date un report de l'âge légal de départ à la retraite, s'est alliée à l'exécutif pour voter la réforme. Impensable, donc, d'imaginer que le texte pour abroger la mesure phare du texte trouve une majorité à la chambre haute. "C'est mort-né. Le Sénat ne donnera aucune suite", tranche sans ambages un député LR.
Les députés LR au centre de l'attention
Pas de quoi doucher l'enthousiasme des députés Liot. "Sur la mesure d'âge, on peut gagner, veut croire Christophe Rossignol. Nous sommes un groupe fédérateur, qui a la capacité de rassembler sur un vote à droite et à gauche." La motion de censure déposée par le groupe pour faire tomber le gouvernement, qui n'avait échoué qu'à neuf voix près le 20 mars, en est la parfaite illustration. Comme lors des débats sur la réforme, tous les regards étaient alors braqués vers les votes, très divisés, des députés LR. Un schéma qui risque fort de se reproduire si la possibilité d'abrogation d'une partie de la réforme est examinée.
"Tout dépendra du contexte, car la contestation sociale contre la réforme des retraites joue le rôle de troisième chambre, estime Jean-François Kerléo. Si elle se maintient, les députés LR pourraient flancher." En février, lors du premier examen de la réforme à l'Assemblée, le parti de droite s'était déchiré entre partisans d'un soutien au texte et détracteurs qui dénonçaient sa trop grande dureté, notamment sur la question des carrières longues. "Il y a assez peu de chances que ça aboutisse. Ça peut néanmoins permettre de relancer le débat", observe de son côté le constitutionnaliste Bertrand Mathieu, qui compare ce processus législatif à "un parcours d'obstacles